Depuis 2016, les Français consomment davantage en volume qu’en valeur et la tendance ne se dément pas depuis. Derrière cette révolution pour l’environnement, à l’heure où le pouvoir d’achat occupe les colonnes des médias, se cache une évolution profonde des publics, toutes catégories sociales confondues, qui sonne la fin de l’ère de la surconsommation sur l’autel de l’écologie. Car il faut bien comprendre que la distance prise par les consommateurs face aux entreprises et en particulier aux multinationales est bien sûr révélatrice d’une nouvelle ère de pouvoir des acheteurs faces aux marques et aux distributeurs pour leur imposer une transformation écologique plus vertueuse mais pas seulement. Le mouvement est bien plus profond.
En effet, 7 Français sur 10 jugent incompatible notre modèle économique avec la protection de l’environnement. C’est bien la nécessité d’un changement de système global qui s’est enraciné fortement dans les consciences. Ainsi le consommateur a compris que sa carte bancaire avait le pouvoir d’un bulletin de vote, parfois davantage au vu de l’impact qu’ont les entreprises sur leur vie quotidienne, leur santé et celle de la planète de manière générale.
Le modèle de consommation de masse des Trente Glorieuses a vécu. Nous entrons dans une nouvelle ère ou l’urgence climatique a réveillé la conscience politique des consommateurs. Et parce que les institutions sont parfois démunies voire engluées dans un certain immobilisme, autant se tourner vers les entreprises pour obtenir directement d’elles qu’elles réduisent leurs impacts négatifs. A ce titre, 60 % des Français pensent qu’elles ont aujourd’hui un rôle plus important que les gouvernements dans la création d’un avenir meilleur.
Les origines de la modernisation écologique comme courant d’analyse macrosociologique du changement social sont à chercher dans deux sources distinctes mais complémentaires. D’une part, des travaux initiés en Allemagne sur le risque (Beck, 2001) et la technique (Huber, 1985) sont venus alimenter une réflexion sur l’innovation technologique comme réponse à une société du risque confrontée à de nouveaux enjeux. D’autre part, la montée des préoccupations environnementales et leur prise en charge par les sociétés humaines ont légitimé un propos sur l’articulation des sphères et des rationalités économiques et écologiques, comme l’expliquent deux figures de courant, les sociologues Arthur Mol et Gert Spaargaren (1993). La modernisation écologique vise ainsi à rendre compte des mécanismes de restructuration des institutions politiques et économique et des processus de production et, à moindre échelle, de consommation, induits par les préoccupations environnementales. C’est la reconnaissance de cette sphère écologique qui vient renouveler le regard porté par les chercheurs sur ces institutions et ces dynamiques sociales.
L’intérêt pour l’inscription d’une rationalité écologique dans les institutions modernes est très souvent circonscrit à un propos sur l’innovation technique, lui-même limité à sa dimension économique. Les travaux en sociologie des techniques de Martin Janicke insistent sur ce point et rappellent que si une innovation verte ou éco-efficiente correspond à « l'introduction d'une technologie respectueuse de l'environnement qui augmente également la productivité des ressources », l’innovation englobe aussi « la mise en marché initiale d’une nouvelle technologie » et de ce fait « le rôle des marchés directeurs est devenu très important pour les innovations environnementales ». L’appui des gouvernements nationaux à ces dynamiques à travers leurs politiques environnementales est minimisé au profit d’une rationalité économique qui domine la perspective d’une modernisation écologique valorisant de tels développements industriels des innovations.
Ces premiers éléments de contexte permettent d’entrevoir les principaux débats qui ont traversé et traversent toujours la modernisation écologique, qu’ils renvoient aux liens entre modernité, économie et écologie ; aux travaux critiques du progrès scientifique et de l’innovation technique ; ou aux rôles des institutions gouvernementales dans ces processus. Notre propos est ici de qualifier la modernisation écologique pour alimenter les réflexions sur les liens entre changement social et écologie, en examinant également ses limites et en mobilisant des lectures complémentaires tirées de la sociologie francophone de l’environnement.
Nous revenons d’abord sur les définitions de la modernisation écologique telles qu’elles apparaissent dans les travaux de sociologie de l’environnement, principalement aux États-Unis et en Europe du Nord. Ceci nous conduit à présenter les principales critiques dont elle est la cible, concernant sa contribution effective à la prise en charge des enjeux environnementaux, mais aussi son positionnement technocratique dénoncé par les tenants d’une approche critique de la modernisation écologique discursive. Enfin, les apports pour la sociologie francophone de l’environnement sont abordés : des travaux menés en sociologie économique de l’environnement et d’autres contributions récentes rappellent la nécessité d’ouvrir la modernisation écologique à une plus large prise en compte des mobilisations et des motivations des acteurs, individuels ou collectifs.