«J’ai enchéri pour une peinture à l’huile figurant un retable de Mantegna, il s’agissait d’une photocopie, collée sur bois»… «90 % des enchères sur les pièces africaines ou asiatiques sont fausses»… «Nous sommes envahis de faux et copies […] Une maison belge inonde le marché en émaux style Longwy, mais également en verrerie, porcelaine, barbotine et faïence»… «Méfiez-vous de certains vendeurs allemands de petits bronzes. Sans parler des cochonneries de Chine»… «Après avoir payé 110 euros un tétradrachme d’Antioche, représentant Néron, je reçois un jeton de lessive !»…«Attention au vendeur qui a le culot de vendre des hipposandales romaines : il s’agit de fers à vache !»… Voici quelques-unes des plaintes d’enchérisseurs dépités par les ventes sur eBay (n°1 mondial du secteur), recensées dans une enquête confidentielle à laquelle Libération a pu avoir accès. Fort de cette investigation, et de pourparlers infructueux avec les responsables du site, le Conseil des ventes a sorti hier l’artillerie lourde : il demande au tribunal d’interdire toute vente aux enchères sur le territoire à eBay France et Europe.
Tout a commencé le 16 juin 2004, avec la mise en ligne d’un «Christ et apôtres de Rubens, daté 1603». «Cette fois, la ligne jaune est franchie !», a tonné le colérique président du Conseil des ventes, Christian Giacomotto : les responsables d’eBay se sont toujours défendus d’accepter la mise en ligne de biens culturels, sujets à une réglementation propre. Le parquet de Paris a mollement classé l’affaire sans suite, au motif que le «Rubens» - évidemment - était un faux. Même réaction pour un pseudo-Modigliani.
Le conseil a mis une équipe sur la piste d’eBay. En juillet dernier, il a même obtenu du tribunal d’envoyer un «infiltré», dont les résultats montreraient d’après lui que le site n’est pas un hébergeur neutre, mais bel et bien un acteur de la vente, qui prétend se soustraire à la loi.
Lots fictifs. Le Conseil des ventes est l’équivalent du CSA pour l’audiovisuel : toute société de vente aux enchères doit obtenir son agrément, suivant un cahier des charges qui garantit une protection du consommateur. Même si les enquêteurs admettent que «95 % des ventes ne posent pas de problème particulier», les arnaques ne se bornent pas à ces cas d’école. Un internaute se demande comment récupérer 9 000 euros envoyés en Autriche pour une voiture jamais livrée. Une antiquaire ne parvient pas à obtenir les 850 euros d’un violon de 1808 envoyé en Allemagne. Pour 800 euros, un petit malin prétend vendre 2 points de permis de conduire…
Une des nouveautés est la proposition de lots fictifs en téléchargeant des images reprises de catalogues. Ainsi d’une série d’annonces à la date du 2 octobre pour un meuble style Louis XVI, une armoire Empire, un bronze ou une lunette astronomique. Tous objets piqués du catalogue d’une vente aux enchères à Dijon, le 6 octobre. Au passage, ils sont proposés 5 fois plus cher, ce qui n’empêche par l’internaute d’être crédité sur eBay de 68 % d’évaluations positives. Nombre de vendeurs sont des professionnels qui ne tiennent pas de registre et fraudent le fisc : ainsi de ce «particulier» qui a mis en vente 15 000 objets. «Sur les 19 plus gros vendeurs français, 4 ont disparu, le plus souvent du jour au lendemain», assène un enquêteur, chacun ayant mis en ligne de 13 000 à 62 500 objets.
D’autres procédures permettent de fausser les opérations, même si elles ne sont pas propres à eBay. Faire monter les enchères en usant de plusieurs pseudos. Faire une proposition très basse, puis une autre très élevée, qui éloigne les amateurs ; à la dernière minute, retirer l’enchère haute, afin de rafler l’objet au prix plancher. Ou encore l’usage de sites «snipers», qui cliquent à la dernière fraction de seconde, ce qui ne laisse aucune chance aux internautes.
Personne n’accuse eBay de participer sciemment à ces dérives, même s’il lui est souvent reproché de ne pas gendarmer suffisamment son site. Le conflit ouvert par le Conseil des ventes va cependant plus loin : à ses yeux, eBay devrait se soumettre à la législation française en matière de ventes aux enchères. Il serait ainsi forcé d’engager sa responsabilité sur les transactions, en garantissant l’authenticité de l’œuvre, le règlement du prix, la légitimité de la provenance…
Passivité. EBay, au contraire, se présente comme un intermédiaire qui n’assume aucune responsabilité juridique dans les échanges. «La législation nous reconnaît un rôle de courtier en ligne» qui échappe à ces contraintes, lance son directeur juridique, Alexandre Menais. Il accuse ainsi le Conseil des ventes de tirer argument d’incidents marginaux qui, «presque toujours, se règlent à l’amiable», et pour lesquels le site offre des services d’information et de protection. Rappelant qu’eBay compte 10 millions de consommateurs en France, il dénonce une bataille d’arrière-garde pour venir «au secours d’une profession à la dérive», sous-entendu les commissaires-priseurs.
EBay est déjà dans le collimateur de L’Oréal et LVMH, qui lui reprochent d’être un vecteur de la diffusion de contrefaçons de marques. En contribuant à ce tir groupé, le Conseil des ventes reproche implicitement aux autorités leur passivité devant un phénomène qui contribue en effet à la dégradation du marché de l’art officiel en France. Il entend aussi peser sur la réflexion ouverte par la ministre de la Culture qui examine les réformes à apporter à ce secteur.
Tout a commencé le 16 juin 2004, avec la mise en ligne d’un «Christ et apôtres de Rubens, daté 1603». «Cette fois, la ligne jaune est franchie !», a tonné le colérique président du Conseil des ventes, Christian Giacomotto : les responsables d’eBay se sont toujours défendus d’accepter la mise en ligne de biens culturels, sujets à une réglementation propre. Le parquet de Paris a mollement classé l’affaire sans suite, au motif que le «Rubens» - évidemment - était un faux. Même réaction pour un pseudo-Modigliani.
Le conseil a mis une équipe sur la piste d’eBay. En juillet dernier, il a même obtenu du tribunal d’envoyer un «infiltré», dont les résultats montreraient d’après lui que le site n’est pas un hébergeur neutre, mais bel et bien un acteur de la vente, qui prétend se soustraire à la loi.
Lots fictifs. Le Conseil des ventes est l’équivalent du CSA pour l’audiovisuel : toute société de vente aux enchères doit obtenir son agrément, suivant un cahier des charges qui garantit une protection du consommateur. Même si les enquêteurs admettent que «95 % des ventes ne posent pas de problème particulier», les arnaques ne se bornent pas à ces cas d’école. Un internaute se demande comment récupérer 9 000 euros envoyés en Autriche pour une voiture jamais livrée. Une antiquaire ne parvient pas à obtenir les 850 euros d’un violon de 1808 envoyé en Allemagne. Pour 800 euros, un petit malin prétend vendre 2 points de permis de conduire…
Une des nouveautés est la proposition de lots fictifs en téléchargeant des images reprises de catalogues. Ainsi d’une série d’annonces à la date du 2 octobre pour un meuble style Louis XVI, une armoire Empire, un bronze ou une lunette astronomique. Tous objets piqués du catalogue d’une vente aux enchères à Dijon, le 6 octobre. Au passage, ils sont proposés 5 fois plus cher, ce qui n’empêche par l’internaute d’être crédité sur eBay de 68 % d’évaluations positives. Nombre de vendeurs sont des professionnels qui ne tiennent pas de registre et fraudent le fisc : ainsi de ce «particulier» qui a mis en vente 15 000 objets. «Sur les 19 plus gros vendeurs français, 4 ont disparu, le plus souvent du jour au lendemain», assène un enquêteur, chacun ayant mis en ligne de 13 000 à 62 500 objets.
D’autres procédures permettent de fausser les opérations, même si elles ne sont pas propres à eBay. Faire monter les enchères en usant de plusieurs pseudos. Faire une proposition très basse, puis une autre très élevée, qui éloigne les amateurs ; à la dernière minute, retirer l’enchère haute, afin de rafler l’objet au prix plancher. Ou encore l’usage de sites «snipers», qui cliquent à la dernière fraction de seconde, ce qui ne laisse aucune chance aux internautes.
Personne n’accuse eBay de participer sciemment à ces dérives, même s’il lui est souvent reproché de ne pas gendarmer suffisamment son site. Le conflit ouvert par le Conseil des ventes va cependant plus loin : à ses yeux, eBay devrait se soumettre à la législation française en matière de ventes aux enchères. Il serait ainsi forcé d’engager sa responsabilité sur les transactions, en garantissant l’authenticité de l’œuvre, le règlement du prix, la légitimité de la provenance…
Passivité. EBay, au contraire, se présente comme un intermédiaire qui n’assume aucune responsabilité juridique dans les échanges. «La législation nous reconnaît un rôle de courtier en ligne» qui échappe à ces contraintes, lance son directeur juridique, Alexandre Menais. Il accuse ainsi le Conseil des ventes de tirer argument d’incidents marginaux qui, «presque toujours, se règlent à l’amiable», et pour lesquels le site offre des services d’information et de protection. Rappelant qu’eBay compte 10 millions de consommateurs en France, il dénonce une bataille d’arrière-garde pour venir «au secours d’une profession à la dérive», sous-entendu les commissaires-priseurs.
EBay est déjà dans le collimateur de L’Oréal et LVMH, qui lui reprochent d’être un vecteur de la diffusion de contrefaçons de marques. En contribuant à ce tir groupé, le Conseil des ventes reproche implicitement aux autorités leur passivité devant un phénomène qui contribue en effet à la dégradation du marché de l’art officiel en France. Il entend aussi peser sur la réflexion ouverte par la ministre de la Culture qui examine les réformes à apporter à ce secteur.