La France a déjà émis, au 5 mars, 80 millions de tonnes de CO2 depuis le début de l’année, selon plusieurs associations environnementales. En théorie, elle ne devrait plus rejeter de CO2 si elle voulait respecter son objectif de neutralité carbone.
Deux mois et cinq jours : c’est le temps qu’il aura fallu à la France pour atteindre une nouvelle date climatiquement lourde de sens. Les quatre associations de “L’Affaire du siècle” (Oxfam, la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme, Greenpeace et Notre affaire à tous), engagées dans une action en justice contre l’État pour inaction climatique, ont décrété le jeudi 5 mars “Jour du dérèglement”. Autrement dit, la France a déjà émis la totalité des gaz à effet de serre qu’elle pourrait se permettre de relâcher dans l’atmosphère en un an si elle respectait son objectif de neutralité carbone.
Un terme très à la mode qui désigne le point d’équilibre entre les émissions de gaz à effet de serre d’un pays et sa capacité à les absorber grâce aux puits naturels de carbone, tels que les forêts ou certaines prairies. La France peut ainsi se permettre de rejeter au maximum 80 millions de tonnes de CO2 en un an si elle veut être dans les clous de la neutralité carbone, d’après les chiffres officiels de la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC). Au-delà, elle laisse une empreinte irréversible sur le climat.
Et c’est ce cap que le pays aurait franchi en soixante-cinq jours seulement, d’après les quatre ONG environnementales. À partir de maintenant “la France vit à découvert climatique pour le reste de l’année”.
Pour parvenir à leurs conclusions, les associations se sont appuyées sur les projections du cabinet Carbone 4. “On a estimé que les émissions de gaz à effet de serre pour 2020 allaient s’élever à 450 millions de tonnes de CO2’’
Un chiffre que Carbone 4 n’est pas sorti comme par magie de son chapeau. Le cabinet a retenu le total officiel des émissions françaises de CO2 de 2017 auquel il a appliqué le taux moyen de baisse des émissions, calculé sur la période de 2011 à 2017. “Nous avons constaté que la France rejetait en moyenne, chaque année, 5,7 millions de tonnes de gaz à effet en moins’’
Mais la France ne s’est jamais engagée à respecter la neutralité carbone dès 2020. L’objectif officiel est d’y parvenir en 2050. Il y aurait donc encore le temps de rectifier le tir ? La France a déjà fait quelques progrès puisque, d’après les calculs de Carbone 4, elle a reculé la date du “Jour du dérèglement” de 3 jours en quatre ans. Ce qui est très loin d’être suffisant.
Ce “Jour du dérèglement” représente donc un nouvel indicateur pour souligner l’urgence de redoubler d’efforts dans la lutte contre le réchauffement climatique. Les mises en garde ne manquent pas entre les multiples rapports de scientifiques du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat) et d’autres indicateurs comme le “Jour du dépassement” qui est la date – fixée symboliquement chaque année par l'ONG Global Footprint Network – à laquelle l’humanité a dépensé l’ensemble des ressources que la Terre peut régénérer. “C’est vrai qu’il existe déjà de multiples alertes, et ce nouvel indicateur est une illustration supplémentaire pour rappeler qu’il nous reste trente ans pour que soit menée une véritable transformation sociétale”.
Ne serait-ce pas un “jour du dérèglement” politique ?
Ce “Jour du dérèglement” est aussi une arme politique, censée mettre l'État face à ses contradictions. Après tout, c’est Emmanuel Macron, le président du “Make our planet great again”, qui a fait inscrire l’objectif d’une neutralité carbone à atteindre en 2050 dans la loi énergie d’avril 2019. À cet égard, la vitesse avec laquelle la France a dévoré son quota d’émission de CO2 prouverait qu’en “réalité, le gouvernement ne met pas en œuvre ses engagements”, assure Noélie Coudurier.
La militante d'Oxfam considère également que les signes donnés par le gouvernement ces derniers mois ne sont “pas très encourageants” pour la suite. En novembre 2019, il a ainsi décidé de relever les objectifs d’émissions des gaz à effet de serre jusqu’en 2023.
Ce nouvel indicateur demeure imparfait. Il ne peut anticiper, par exemple, les innovations technologiques qui pourraient améliorer les techniques de captation de CO2 et devenir ainsi des soutiens toujours plus efficaces aux puits de carbone naturel.
Malgré ces imperfections, ce “Jour de dérèglement” reste pour les initiateurs de “L’affaire du siècle” une manière de se rappeler au bon souvenir du pouvoir. En effet, ces ONG attendent toujours que l'État réagisse à leur recours en justice déposé il y a plus d'un an et qui mettait les autorités en cause pour le non-respect de leurs engagements climatiques.