France
13/12/2020 20:11

Covid, Castex et les mots traitres

Si les politiciens pouvaient se taire en cette période de pandémie, ils auraient tout à y gagner. Hélas, au moins pour étouffer les crécelles du RN, il est indispensable qu'ils s'expriment. Pour autant, il faut quand-même essayer de rester clair. Prenons l'exemple de Jean Castex et plus précisément de sa conférence de presse du 3 décembre. «Le covid, cette maladie dont on connaît maintenant la dangerosité et la contagiosité...» Pour tout vous dire, je n'ai pas entendu la suite de la phrase. Dangerosité et contagiosité: il fallait oser parler comme ça.


Un fait d'époque?

On constate le même genre d'allitération avec "communautarisme" et "séparatisme", sur fond discret -mais patent - "d'islamisme". Il faudrait en croire que rien n'est laissé au hasard dans la parole politique. Inutile de faire une collection de ces juxtapositions de termes qui alertent l'oreille, même celle des moins attentifs. En ces temps difficiles, on en trouve très régulièrement.

Si c'est un fait d'époque, on peut penser sans la moindre hypocrisie qu'il s'agit d'une mise en pratique, par ses lieutenants, du célèbre "en même temps" d'Emmanuel Macron. C'est toujours comme ça: on plante des graines mais on ne sait pas ce qui va pousser.
Quand-même, illustrer le "en même temps" du Président de la République avec une récurrence des sonorités dans deux mots qui vont ensemble, ce n'est pas très satisfaisant: on passe du "en même temps" au "à côté l'un de l'autre par affinité plausible".

Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais, à mon point de vue, partir du du "en même temps" pour aboutir au "à côté l'un de l'autre par affinité plausible", c'est un aveu d'incapacité qui ruine la parole présidentielle.

De l'intention aux mots

Mais revenons à Monsieur Castex et à cette phrase: «Le covid, cette maladie dont on connaît maintenant la dangerosité et la contagiosité...» A n'en pas douter, cette redondance est partie d'un bon sentiment: bien faire comprendre aux téléspectateurs que la situation était grave et mieux les inciter à respecter le confinement.
Que nenni. Contagiosité, tout le monde comprend ce mot, même si il est peu courant. Néanmoins, on s'y arrête, ne serait-ce que pour constater que le substantif est moins utilisé que l'adjectif.
Dommage pour la suite du message du Premier ministre, les mots "dangerosité" et contagiosité" offrent l'inestimable avantage de former tout à la fois une allitération (...sité   ...sité) et une redondance.

Dans le discours, la redondance concourt à la précision du sens ou à la mise en valeur de notions d'égale importance. Elle sert aussi à insister. L'intention est claire. Toutefois, l'effet produit n'est pas toujours celui recherché. L'usage de deux mots différents pour évoquer une même idée fait surgir une crainte: si deux mots sont nécessaires, c'est qu'ils ne recouvrent pas la même part de réalité. Le téléspectateur est ainsi fondé à se demander: "quelle est cette part de réalité que je ne suis pas sensé saisir depuis tout ce temps que les politiciens et les media nous parlent du covid?" Tout comme on ignore ce qui se trouve sur la face cachée de la lune, cette interrogation n'a pas de réponse à priori: elle fait cependant surgir un sentiment d’ambiguïté.

Les mots traitres

Jean Castex est coutumier du fait. Chacun se rappelle de cette phrase de son discours du 11 septembre dernier: «Faites attention, soyez très prudents.» Cette redondance avait probablement pour vocation de préciser de quelle façon il fallait faire attention. Il fallait faire attention en étant très prudents. Mais les mots sont traitres: il n'est resté dans les esprits que «Faites attention!». Expression qui, seule, nous intime de nous tenir tranquilles.

Ces mots traitres, utilisés dans l'intention de bien enfoncer des idées dans des têtes récalcitrantes, ont un effet dévastateur. Au bout compte, il est probable qu'il ne restera de cette année 2020 qu'une phrase bancale: «FAITE ATTENTION, COVID MONTRE EN MÊME TEMPS SA DANGEROSITÉ ET SA CONTAGIOSITÉ». Le comble, en somme, de l'obséquiosité. Tada, tada, lala, sité, sité. Ça chante bien non?


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