France
15/12/2006 21:31

Conférence pour l'environnement

On peut dire que le mythe du progrès, qui est au fondement de notre civilisation, qui voulait que, nécessairement, demain serait meilleur qu'aujourd'hui, et qui était commun au monde de l'Ouest et au monde de l'Est, puisque le communisme promettait un avenir radieux, s'est effondré en tant que mythe. Cela ne signifie pas que tout progrès soit impossible, mais qu'il ne peut plus être considéré comme automatique et qu'il renferme des régressions de tous ordres. Il nous faut reconnaître aujourd'hui que la civilisation industrielle, technique et scientifique crée autant de problèmes qu'elle en résout.



Cette crise ne concerne-t-elle que les sociétés occidentales ?

Cette situation est celle du monde dans la mesure où la civilisation occidentale s'est mondialisée ainsi que son idéal, qu'elle avait appelé le « développement ». Ce dernier a été conçu comme une sorte de machine, dont la locomotive serait technique et économique et qui conduirait par elle-même les wagons, c'est-à-dire le développement social et humain.

Or, nous nous rendons compte que le développement, envisagé uniquement sous un angle économique, n'interdit pas, au contraire, un sous-développement humain et moral. D'abord dans nos sociétés riches et développées, et ensuite dans des sociétés traditionnelles.

L'ensemble de nos anciennes solutions sont aujourd'hui, ainsi, remises en question, ce qui provoque des défis gigantesques pour nous et la planète notamment face à la menace venant de l'économie dite mondialisée, dont on ignore encore si les bienfaits qu'elle promet sous la forme d'élévation du niveau de vie ne vont pas être payés par des dégradations de la qualité même de la vie.

Cette dégradation de la qualité par rapport à la quantité est la marque de notre crise de civilisation car nous vivons dans un monde dominé par une logique technique, économique et scientifique. N'est réel que ce qui est quantifiable, tout ce qui ne l'est pas est évacué, de la pensée politique en particulier. Or, malheureusement, ni l'amour, ni la souffrance, ni le plaisir, ni l'enthousiasme, ni la poésie n'entrent dans la quantification.

Je crains que la voie de la compétition économique accélérée et amplifiée ne nous conduise qu'à un accroissement du chômage. La tragédie, c'est que nous n'avons pas de clé pour en sortir. Nos outils de pensée, nos idéologies, comme le marxisme, qui pensait malheureusement à tort qu'en supprimant la classe dirigeante on supprimerait l'exploitation de l'homme par l'homme, ont fait la preuve de leur échec. Nous sommes donc un peu perdus.

Est-ce qu'une situation limite comparable à la nôtre a déjà existé par le passé ?

Ce développement technique, économique et scientifique, avec ses effets propres, est un phénomène unique dans l'histoire. Mais des situations limites se sont déjà produites. Lorsqu'un système donné se trouve saturé par des problèmes qu'il ne peut plus résoudre, il y a deux possibilités : soit la régression générale, soit un changement de système.

Le cas de la régression est illustré par celui de l'Empire romain. Comme on le sait aujourd'hui, ce ne sont pas les barbares qui ont provoqué sa chute, mais le fait qu'il a été incapable de se transformer et de résoudre ses problèmes économiques. A l'inverse, la naissance des sociétés historiques, il y a dix mille ans au Moyen-Orient, avec le passage de petits groupes nomades de chasseurs-ramasseurs à l'agriculture et leur sédentarisation dans le cadre de villages..., constitue un exemple réussi de dépassement d'un système d'organisation trop compartimenté ou dispersé pour résoudre les problèmes posés par une grande concentration de populations.


Lors de ces mutations, on franchit un cap et on change d'échelle en réalité. Est-il dans la logique du devenir des sociétés humaines d'accéder à l'étape de la mondialisation, que vous appelez aussi « l'ère planétaire », et qui est surtout per

En effet, parce qu'incontrôlée elle s'accompagne de régressions multiples. Mais, c'est une possibilité qui pourrait être souhaitable. La mondialisation a évidemment un aspect très destructeur, d'anonymisation, de ratissage des cultures, d'homogénéisation des identités. Mais, elle représente aussi une chance unique de faire communiquer et se comprendre les hommes des différentes cultures de la planète, et de favoriser les métissages.

Cette étape nouvelle ne pourra venir que si nous enracinons dans notre conscience le fait que nous sommes des citoyens de la Terre tout en étant Européens, Français, Africains, Américains..., qu'elle est notre patrie, ce qui ne nie pas les autres patries. Cette prise de conscience de la communauté de destin terrestre est la condition nécessaire de ce changement qui nous permettrait de copiloter la planète, dont les problèmes sont devenus inextricablement mêlés. Faute de quoi, on connaîtra l'essor des phénomènes de « balkanisation », de repli défensif et violent sur des identités particulières, ethniques, religieuses, qui est le négatif de ce processus d'unification et de solidarisation de la planète.

Ces problèmes planétaires, qui dépassent la compétence des Etats-nations, nécessiteraient des réponses politiques planétaires. Est-ce à dire qu'il faudrait instaurer un gouvernement mondial avec les risques totalitaires que cela comporte ?

Pas du tout. Ce que je crois, c'est qu'il faut incontestablement espérer que se mette en place une confédération mondiale, qui serait elle-même une confédération de confédérations à l'échelle des continents, dont l'Europe pourrait être un modèle et un exemple. Il faudrait créer des instances mondiales pour réguler des problèmes vitaux comme l'écologie, le nucléaire, et le développement économique, qui, en raison de ses conséquences socio-culturelles, ne devrait pas échapper au contrôle politique.


Mais l'essentiel de la politique de civilisation devrait être mis en oeuvre au niveau de chaque pays. Quelles en sont les finalités et les grandes lignes ?

S'il y a une crise de civilisation, c'est parce que les problèmes fondamentaux sont considérés en général par la politique comme des problèmes individuels et privés. Cette dernière ne perçoit pas leur interdépendance avec les problèmes collectifs et généraux. La politique de civilisation vise à remettre l'homme au centre de la politique, en tant que fin et moyen, et à promouvoir le bien-vivre au lieu du bien-être. Elle devrait reposer sur deux axes essentiels, valables pour la France, mais aussi pour l'Europe : humaniser les villes, ce qui nécessiterait d'énormes investissements, et lutter contre la désertification des campagnes.



Propos recueillis par Anne Rapin.
Lire l'article sur le site du Minisrère des affaires étrangères.

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